Associé en charge du secteur télécoms chez Mazars en France et à l’international, Julien Huvé décrypte pour Digital CMO les enjeux autour de la 5G. Son message : pas de de nouveaux services 5G, principalement en relation client et objets connectés, avant 2020. Et prochaine étape l’attribution des licences avec peut-être de nouveaux entrants.
Vincent Biard – A quoi peut-on s’attendre avec la 5G et dans combien de temps allons nous disposer de nouveaux services
Julien Huvé – Quand on parle de la 5G, on n’en mesure pas forcement les enjeux. On parle de débit plus important, de temps de latence réduit mais pour les usagers et les entreprises, la 5G ouvre des perspectives très intéressantes. Dans le domaine du marketing, l’expérience et la relation client seront fortement impactées. Au niveau de l’agenda qui semble se dessiner, les expérimentations sont déjà lancées. En France, chaque opérateur dispose d’une zone d’expérimentation ouverte par l’ARCEP et peut tester les équipements comme certains terminaux mais également les réglages de son réseau pour un déploiement prévu pour 2020 avec les premières offres probablement lancées début 2021.
Vincent Biard – Quels montants d’investissements sont nécessaires ? Des infrastructures doivent-elles être construites ? Et qui peut être candidat ?
Julien Huvé – Ce sont des investissements colossaux de l’ordre de plusieurs milliards d’euros pour couvrir le territoire français. L’architecture d’un réseau 5G est différent d’un réseau 4G avec une conception inédite séparant l’infrastructure Réseau et l’architecture logiciel qui définira le réseau. Ce qui caractérise la 5G est la virtualisation d’une partie du cœur du réseau et donc cela implique une part beaucoup plus importante de logiciels que sur la 4G. En fin d’année, les enchères pour l’attribution des fréquences 5G aux opérateurs devraient être lancées pour des montants de plusieurs centaines de millions d’euros. Au niveau des candidats il y a actuellement il y a des concertations ouvertes par l’ARCEP pour identifier les acteurs intéressés par des licences 5G notamment à travers la création de plateforme d’expérimentations 5G. On pense bien sûr aux quatre opérateurs français mais on peut imaginer que d’autres acteurs puissent être intéressés par des licences 5G. Ainsi des gestionnaires d’infrastructures réseaux comme la SNCF ou encore les GAFA pourraient vouloir offrir des services spécifiques à leurs clients via la 5G.
Vincent Biard – Et que va apporter la 5G ? Ce sera l’équivalent de la fibre optique en mobile ?
Julien Huvé – C’est même un peu plus que cela. La 5G fournira une faible latence c’est-à-dire un temps de réponse ultra court. Cela ouvrira la voie à de nouvelles utilisations de type véhicules autonomes ou encore objets connectés au sein des processus industriels. La 5G apporte également des débits beaucoup plus importants. La structure du réseau avec sa part de virtualisation va permettre une découpe du réseau afin de le dédier à certains usages et donc à certains clients. Cela permettra d’adapter la structure du réseau, de proposer des services nouveaux à valeur ajoutée. Alors que la 4G pouvait être perçue comme de la 3G avec un débit plus important, la 5G offrira un développement des applications actuelles et des usages n’existant pas aujourd’hui.
Vincent Biard – La 5G ne va-t-elle pas concurrencer le déploiement de la fibre optique en France ? Et que pensez vous des annonces effectuées lors du Mobile World Congress cette année autour des nouveaux smartphone ?
Julien Huvé – Non car la 5G et la fibre optique offrent des usages très différents et des applications complémentaires. Dans les pays où le déploiement de la fibre représente des coûts d’infrastructures trop lourds, le 5G apportera une alternative comme l’apporte déjà aujourd’hui la 4G. Et ce qui a été annoncé au MWC me rassure parce que c’est un écosystème qui se met en place autour de la 5G. Il est indispensable d’avoir aujourd’hui des terminaux 5G car 2020 c’est demain. L’existence de cet écosystème est indispensable pour permettre aux opérateurs de monétiser la 5G et donc de permettre un retour sur investissement à moyen terme.
Vincent Biard – Quels sont les risques liés au déploiement de la 5G et notamment en matière de cyber sécurité ?
Julien Huvé – Une partie du réseau de la 5G sera virtualisé et ainsi l’intelligence du réseau sera hébergée sur des serveurs et donc des systèmes en cloud. De nombreuses questions vont se poser sur la sécurité des équipements en termes de maintenance logicielle ainsi que sur les garanties offertes par les opérateurs et les équipementiers pour assurer la confidentialité des données, la souveraineté des Etats, le secret industriel. Posons-nous la question de savoir où seront hébergées les données.
Vincent Biard – Ces questions de sécurité ne sont-elles pas déjà soulevées par le conflit entre l’équipementier chinois Huawei et les autorités américaines ?
Julien Huvé – La sécurité des données ne sera pas qu’une question d’équipementiers. Plus largement, avec la virtualisation d’une partie des infrastructures, la question de l’hébergement des données au sein de solutions cloud est également une question importante dans un contexte marqué par le cloud act qui est rentré en vigueur aux Etats-Unis et qui donne la possibilité à la justice américaine d’avoir accès aux données hébergées sur des serveurs de sociétés américaines. Or aujourd’hui les plus grands providers de solutions cloud sont américains… L’une des applications majeures de la 5G concernera les objets connectés qui offriront autant de points d’entrées et de communication avec le réseau qu’il faudra donc sécuriser. Les problématiques de sécurité liées à la 5 G sont réelles.
Vincent Biard – Quels usages de la 5G pour les consommateurs ? N’est-elle pas d’abord un outil de la transformation des entreprises ?
Julien Huvé – L’une des grandes différences avec la 4G sera l’usage développé par les industriels. Les usagers finaux comme vous et moi allons bien sûr disposer de nouveaux services comme les smart cities ou les véhicules autonomes avec pour ces derniers un horizon à plus de cinq années compte tenu des questions de législation et de sécurité. Pour le business, quand on réfléchit à ce que cela peut amener en termes de vente et d’expérience client ou sur l’aspect industriel, c’est complètement transformant. Ainsi dans l’industrie, grâce à la 5G et aux objets connectés, on pourra raisonner en petites séries et adapter la production industrielle plus finement sans surcoût démesuré. La 5G devrait changer complètement les process de fabrication et permettre aux industriels d’entrer dans l’ère des usines connectées.
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