En misant uniquement sur les réseaux sociaux pour identifier les communautés de fans puis en créant un écosystème digital pour lancer son nouveau modèle A110, la marque Alpine illustre la puissance des communautés et des réseaux sociaux dans le marketing. Mais pour Julien Geffard, directeur marketing de cette marque légendaire, le digital doit impérativement être complété par des opérations sur les routes et les circuits.
Vincent Biard – Les études de marché pour décider du lancement de l’Alpine ont-elles été basées sur le digital ?
Julien Geffard – Oui et c’est tout le travail réalisé par l’agence Bloom dirigée par Bruno Breton qui est intervenu lors de la Journée nationale des études*. Avant de relancer la voiture au salon de Genève en 2017, il y a eu un travail de cartographie client et d’identification de communautés autour d’Alpine à base d’écoutes de réseaux sociaux comme des comptes FaceBook ou Twitter. Cette étude nous a permis d’identifier de façon très nette la communauté du sports cars et ce n’est pas une surprise car Alpine est d’abord une marque née de la compétition. Nous avons identifié également la communauté vintage très puissante. Alpine est une marque très patrimoniale en France avec environ 30 000 Alpine produites entre 1955 et 1995. Nous nous sommes d’abord adressés à ces deux communautés pour activer la relance de la marque Alpine. La communauté des sports cars est d’abord guidée par les experts techniques qui ont vu le projet de l’Alpine A110, ont compris le positionnement produit qui est un équilibre entre efficacité et confort ainsi que ses principes intemporels puis ont validé la philosophie de la voiture. Voilà comment nous avons travaillé avant le lancement de la nouvelle A110.
Vincent Biard – Vous évoquez essentiellement les réseaux sociaux. Avez-vous utilisé d’autres canaux pour étudier le marché ?
Julien Geffard – Nous avons écouté la communauté sur les réseaux sociaux mais nous avons été aussi à la rencontre de cette dernière. En janvier 2016, nous avons invité des propriétaires de Berlinette à monter le col de Turini, l’un des cols mythique des « alpinistes ». Ils étaient une centaine et il y a eu beaucoup d’émotions lorsque nous avons présenté le concept car de l’Alpine qui préfigurait alors la modèle à venir. Nous étions dans le partage de la passion autour de la marque Alpine.
Vincent Biard – A vous entendre, le marketing digital a été essentiel.
Julien Geffard – Oui, le digital a été essentiel dans un premier temps. Lorsque nous avons annoncé le retour de la marque en 2016 nous n’avions pas de véhicules sur les routes ni de réseau de distribution. Le digital a permis d’installer Alpine dans un paysage qui lui est propre alors que la marque et le produit étaient encore virtuels. Ensuite il est important et complémentaire de rencontrer physiquement nos fans et les possesseurs d’A110. Plus nous faisons du digital, plus nous devons rencontrer physiquement nos clients et nos fans.
Vincent Biard – Comment coordonnez-vous ce travail sur les réseaux sociaux et la publicité dans la presse ?
Julien Geffard – Nous avons choisi de ne pas faire de publicité parce que notre cible est assez averse à la publicité et à la communication. Alpine c’est l’anti coup de com. Nous manions la publicité avec précaution et nous préférons un ciblage qualitatif à des campagnes de grande envergure. Nous voulons être une marque sincère. Nous avons relancé la marque sur les mêmes principes intemporels qui ont fait le succès d’Alpine dans les années 70 : des voitures légères et compactes donc agiles. Nous communiquons de façon authentique. Ainsi par exemple les photos sont peu retravaillées car nous sommes d’abord dans le partage d’une émotion au travers notamment de nos roadtrips « La Route Bleue ».
Vincent Biard – N’est ce pas trop réduit de s’adresser uniquement à sa communauté de fans à moins que celle-ci ne représente bien sûr une clientèle largement suffisante ?
Julien Geffard – Oui mais c’est le démarrage et nous nous adressons d’abord aux fans d’Alpine, aux puristes, aux experts techniques puis aux premiers possesseurs qui ont voulu avoir cette nouvelle Alpine et qui deviennent des ambassadeurs à leur tour. Nous allons faire grandir la communauté et notamment vers ceux qui aiment les beaux produits car l’Alpine est aussi un bel objet technique. Ceux qui aiment les belles expériences et sont passionnés de voyage, de photo, de Design pourraient aimer l’Alpine.
Vincent Biard – Comment avez-vous traité les leaders d’opinions ?
Julien Geffard – Nous avons démarré avec ceux qui avaient une proximité avec la marque : des personnes connues ou moins connues, ce qui était essentiel pour nous est qu’elles aient une connaissance profonde de la marque. Nous n’avons pas de traitement VIP actuellement car la marque est assez inclusive : elle appartient d’abord aux fans, aux possesseurs d’anciennes Berlinette et de nouveaux modèles.
Vincent Biard – De quels outils ou de quelles données auriez-vous besoin pour mieux comprendre la communauté de vos fans ?
Julien Geffard – Ce serait des outils toujours pour comprendre et approfondir leurs centres d’intérêts et aussi tout ce qui peut nous aider à comprendre l’expérience souhaitée par nos clients. Nous essayons d’offrir aux possesseurs d’Alpine la vie qui va avec la voiture.
Vincent Biard – Avec les 1955 exemplaires de l’Alpine Première édition vendus en quasiment 24h00, vous étiez dans une situation confortable.
Julien Geffard – Nous avons la chance d’avoir, à date, encore neuf mois d’attente sur les principaux marchés. C’est une bonne situation mais nous avons besoin de continuer car c’est dans la durée que se mesure le succès. A quelques semaines près, cela fait deux ans que la marque Alpine a été relancée avec un certain succès. Pour faire venir des nouveaux clients, nous allons faire grandir la communauté. Nous allons continuer à diffuser notre information avec de beaux contenus éditoriaux et de belles images un peu spectaculaires mais aussi proposer de belles expériences clients dans nos centres Alpine.
*Julien Geffard et Bruno Breton sont intervenus conjointement lors la Journée nationale des études 2019 organisée par l’Adetem et l’UDA à Paris le 24 janvier dernier. Directeur marketing monde Alpine Julien Geffard est diplômé de l’ESSEC. Il a démarré sa carrière en Italie chez Fiat Group dans le cadre d’un Trainee Program International au sein des différentes divisions. Arrivé en 2006 chez BMW Group France il a suivi un parcours au sein des fonctions Qualité, Services et Ventes puis Marketing où il a travaillé notamment à la création du réseau MINI en France. En 2010 il a rejoint Bentley Motors au siège Européen basé à Berlin en tant que Head of Sales West Europe puis est devenu Directeur du Marketing opérationnel Europe. En 2017 il intègre la marque Sport Premium du Groupe Renault au poste de Directeur Marketing monde de la marque Alpine pour accompagner sa relance.
A110, le retour de la légende
Créée en 1955 par Jean Rédélé, alors concessionnaire Renault à Dieppe, la société Alpine va produire plusieurs modèles de voitures de course jusqu’en 1995. La plus fameuse est sans aucun doute l’Alpine Berlinette A110 développée avec une dizaine de motorisations de 1962 à 1977 et produite à 6 892 exemplaires. Triomphant lors des courses les plus prestigieuses comme le Rallye de Monte-Carlo, la Berlinette Alpine reste la voiture de sport française emblématique des années 60 et 70. Alpine s’est associée à Renault en 1965 qui deviendra actionnaire majoritaire en 1972. En tout, 30 000 modèles de la marque Alpine ont été fabriqués dans l’usine historique de Dieppe (avec une petite production à l‘étranger).
En 2006, les premières rumeurs d’une résurrection de la marque Alpine par Renault qui souhaitait développer des véhicules haut de gamme relancent le mythe. Ce sera officiel en 2012 et après 40 millions d’euros d’investissement et 151 postes créés à l’usine historique de Dieppe, la production de la nouvelle Alpine 110 est lancée en décembre 2017. L’A110 fait l’unanimité lors de sa présentation officielle au salon de Genève en février 2017 et depuis les distinctions se succèdent. Commercialisée 58 500 euros, la première série de la nouvelle Alpine baptisée « Première édition » produite à 1 955 exemplaires (comme l’année du lancement du modèle originel) a été quasiment vendue en 24h00 ! Deux nouvelles versions -Pure et Légende- sont en préparation et seront prochainement disponibles à l’essai dans les centres Alpine.
L’agence Bloom pour identifier les fans
Lancée début 2017 par Bruno Breton, expert du digital, et par Alexander Polonsky, chercheur en mathématiques, l’agence Bloom propose une « solution d’analyse stratégique fondée sur l’intelligence artificielle à partir des réseaux sociaux. » Classée dans le top 1% des start-up les plus prometteuses par Early Metrics, Bloom a été appelée par le groupe Havas pour travailler sur la marque Alpine. Avec ses puissants algorithmes, Bloom a cartographié et identifié les communautés et influenceurs avec l’objectif d’un déploiement sur les marchés français, anglais et allemands. Havas a ensuite bâti un écosystème interconnecté (site web, appli mobile, réseaux sociaux) 100% digital pour la promotion de la marque Alpine.
Site web : http://bloomsocialanalytics.com/