Qui va gérer le cloud de l’armée des USA : Amazon ou Microsoft ? Ce feuilleton (à 10 Mds$) a débuté en 2017 et devrait prendre fin cet été 2019 et illustre la bataille commerciale actuelle sur le Cloud. Avec déjà un enseignement : les acteurs traditionnels de l’informatique (Oracle, IBM…) semblent ne plus pouvoir rivaliser.
La question semble très rationnelle : quel est le meilleur cloud pour le Département de la Défense des Etats-Unis d’Amérique ? Est-ce AWS ou Azure ? Microsoft a pour lui d’être un fournisseur « historique » de l’armée américaine. AWS se présente de son côté comme le leader mondial du cloud (voir le précédent article de Digital CMO) et affiche des ambitions impressionnantes : 70 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2022, contre 17,5 en 2018. Ces prévisions ne tiennent pas compte – bien sûr – de l’attribution du marché JEDI…
Quelles sont les parts de marché actuelles entre les acteurs du cloud ?
Le premier critère pourrait être tout simplement l’analyse de leurs parts de marché respectives. En l’occurrence, les chiffres sont très variables selon les cabinets d’étude, mais le trio de tête est toujours le même : AWS est le numéro 1 mondial, suivi par Azure et par Google. Amazon vient ainsi d’annoncer que les recettes d’AWS avaient progressé de 41% pour atteindre 7,7 milliards de dollars. AWS ne pèse aujourd’hui « que » 13% des revenus d’Amazon, mais génère plus de 50% de ses bénéfices. Dans ce contexte, il peut sembler étonnant qu’un cabinet d’études (par ailleurs investisseur, Jefferies) table sur une baisse de la part de marché d’AWS (voir le graphique ci-dessous).
Pourtant, cette baisse relative est fort logique, car les concurrents d’AWS progressent encore plus rapidement, à commencer par Microsoft/Azure, qui affiche non pas +41%, mais +73% de croissance sur les trois premiers mois de l’année. La croissance de la division cloud est également forte chez Google (en résumé, on peut dire qu’AWS pèse deux fois plus qu’Azure, qui pèse lui-même deux fois plus que Google Cloud…). En embuscade, on trouve Alibaba, dont la croissance dans la zone Asie-Pacifique s’accélère, ou encore Oracle, IBM, SAP, etc. Le cloud apparaît donc comme un des rares marchés où tous les acteurs sont en croissance.
Une guerre commerciale sans précédent
Pour le Pentagone, le sujet pourrait également être fondé sur une analyse comparative des technologies, mais la somme en jeu pour « Le » marché du siècle (10 milliards de dollars) fait qu’il n’y a plus grand-chose de rationnel. Premiers épisodes de JEDI (Joint Enterprise Defense Infrastructure, comme quoi les informaticiens du Pentagone ont de l’humour) en 2018 : la date limite pour répondre à l’appel d’offres est reportée plusieurs fois et – au lieu de début 2018 – on en arrive à l’automne. Episodes suivants, la réponse du Pentagone est à son tour reportée : elle devait être rendue publique ce printemps 2019 ; ce sera finalement (sauf nouveau rebondissement) pour l’été 2019. Qu’est-ce qui pose problème ? Des difficultés pour analyser les offres ?
Tous mauvais perdants ?
Dès le départ, les nombreux candidats se sont affrontés à fleurets non mouchetés. Assez logiquement, ce sont les principaux acteurs de l’IT qui ont été retenus dans la « short list ». Parmi eux, on peut notamment citer IBM, Oracle, Microsoft/Azure ou Amazon/AWS. Et Google ? Officiellement, le groupe aurait décidé de ne pas répondre à cet appel d’offres, jugé trop complexe. Pendant ce temps, le feuilleton a poursuivi sa course folle (digne du « Bureau des Légendes ») : AWS a été accusé d’avoir fondé sa réponse sur les dires de l’un de ses ex-employés, qui a ensuite rejoint le Pentagone et qui était impliqué dans cet appel d’offres. La personne en question (nommée Deap Ubhi) a ensuite quitté le projet « JEDI », mais cela n’a pas suffit : elle a ensuite été « ré-embauchée » par AWS. Autant d’arguments qui ont été exploités par les concurrents d’Amazon et repris par les médias étasuniens. Malgré cette enquête – car il y a bien eu une enquête, menée jusqu’à début 2019 par le Département de la Défense des USA (DoD, voir l’article du Washington Post) – AWS est le seul acteur du cloud avec Microsoft/Azure retenu pour le sprint final : tous les autres ont été écartés du projet JEDI. Ce qui ne signifie pas qu’ils sont écartés du marché du cloud…
Pascal Boiron, Digital CMO