Lex Paulson est le Directeur exécutif de l’Ecole d’intelligence collective à Université Mohammed VI Polytechnique (Maroc) et associé/consultant en intelligence collective chez SCIAM ainsi que maitre de conférences à Sciences Po.
Nous avons interrogé cet expert de l’intelligence collective mais aussi organisateur (avec d’autres) des campagnes électorales de Barack Obama et d’Emmanuel Macron sur les GAFA et le monde d’après.
Vincent Biard – Il y a des débats sur la notion d’éthique et l’utilisation des données privées par les GAFA. Il y a aussi une critique de leur monopole aux Etats-Unis alors que paradoxalement dans ce pays libéral on peut penser que la libre concurrence y profite aux meilleurs. Quel est votre point de vue ?
Lex Paulson – Pour moi, il faut regarder l’histoire pour voir des cycles politiques sur cette question des GAFA. Prenons l’exemple des chemins de fer. Avec l’arrivée de cette technologie disruptive au début du XIXème siècle, il y a eu une exploitation en masse des travailleurs et il a fallu un contrepoids pour le bien commun. Cela a été à la fois les syndicats et les lois par exemple pour interdire le travail des enfants, établir un salaire minimum ou lutter contre un monopole. Il y a donc une disruption technologique suivie d’une réponse publique puis gouvernementale. Mais il faut élire des politiciens sensibles à ces questions et aux Etats-Unis la classe politique est composée en majorité d’hommes d’un certain âge qui ne comprennent pas les vrais enjeux de l’Internet. On l’a vu lors des auditions de Zuckerberg au Congrès avec des sénateurs qui posaient des questions très bêtes sur le fonctionnement de l’entreprise Facebook. Nous avons donc le droit d’être déçu par la qualité de nos représentants. Il y en a quand même quelques uns comme Elizabeth Warren sénatrice du Massachusetts ou Ron Wyden sénateur de l’Oregon qui sont très compétents sur la régulation des GAFA mais tout dépendra du résultat des prochaines élections. Est-ce-que l’on aura un contrepoids aux GAFA ou est-ce-que l’on aura des hommes âgés qui permettent tout aux entreprises privées ? Voilà la question adressée aux électeurs américains. Mais il faut se souvenir que notre histoire est pleine d’exemples de cycles de technologies disruptives et de croissances de grandes entreprises suivie d’un contre-effet de régulations pour restreindre les pires excès du capitalisme américain.
Vincent Biard – Il y a une demande d’éthique sur les marques aujourd’hui par des mouvements de citoyens ou de lobbies qui leur exigent une conduite exemplaire sur des thèmes environnementaux mais aussi sociétaux. Qu’en pensez-vous ?
Lex Paulson – Il faut faire la différence entre deux choses. Il y a des cas de discrimination et de harcèlements qui doivent être entendus et à qui justice doit être rendue. Pour moi, c’est une ligne rouge que chaque entreprise doit respecter. Le deuxième point est comment rendre nos entreprises qui ont beaucoup de pouvoir économique plus inclusives et diverses. Dans ce cas la science de l’intelligence collective propose beaucoup d’insights sur l’importance de la diversité et de la diversité cognitive. Il y a des chercheurs comme Scott Page de l’Université du Michigan qui a montré à quel point les entreprises qui prennent en considération cette diversité dans tous les sens, diversité cognitive et diversité d’identité, sont plus performantes. Plus une entreprise rassemble des femmes, des personnes aux différents parcours intellectuels et d’expériences de vie, différentes classes sociales, langues ou religions, plus cette entreprise sera performante.
Vincent Biard – On parle du monde d’après, celui d’après la crise du Covid. Croyez-vous que ce monde d’après sera si différent du monde d’avant ?
Lex Paulson – Je ne crois pas à cette situation binaire. Nous vivons une transition comme chaque époque est une transition d’un ancien modèle vers un nouveau modèle. Les prochaines lois, habitudes ou pratiques seront-elles meilleures ou pires ? Notre espèce comme toutes les espèces vivantes du monde est obligée de s’adapter aux nouvelles circonstances. Avec la pandémie, nous voyons bien que l’interdépendance de chaque pays empêche des réponses nationales ou nationalistes aux phénomènes globaux. La pandémie et le changement climatique sont les deux plus urgents et visibles mais il y aussi les migrations, le terrorisme, l’inégalité économique. Pour moi, il faut des solutions interdisciplinaires, internationales et non pas seulement issues de Gouvernements mais aussi de secteurs privé et publics pour faire face aux problèmes complexes. Il faut des solutions nouvelles, plus agiles et plus inclusives. C’est ainsi que je vois le sens de l’après.
Vincent Biard – Quels conseils pourriez-vous donner aux spécialistes du marketing et aux grandes entreprises pour s’adapter à ce nouveau monde ?
Lex Paulson – Il faut bien utiliser les données. Il ne s’agit pas de déléguer les décisions aux algorithmes mais d’avoir des sources de données plus diverses. Des données en internes offrant différentes perspectives sur les problèmes mais aussi des données externes plus variées. Mes collègues de chez Sciam sont des consultants en transformation digitale. Pour eux, celle-ci est à la fois très sophistiquée au niveau technologique pour obtenir des meilleures analyses et des données mais aussi très humaniste en termes d’inclusivité. Ainsi la participation des parties prenantes extérieures comme les communautés, les fournisseurs, les clients est indispensable pour ouvrir des canaux de communication et de dialogue qui n’existent pas aujourd’hui. Il faut être à la fois très en avance par rapport à la technologie mais aussi par rapport aux collaborations avec vos parties prenantes.
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