Alain Conrard, CEO chez Prodware Group a récemment publié « Osons ! Un autre regard sur l’innovation ». Il explique que l’innovation, si elle est bien maîtrisée, est porteuse d’un projet d’amélioration qui excède les seuls cadres de l’économie et de la technologie et occupe désormais les terrains sociétal et environnemental. Pour Alain Conrard, il faut donc développer l’idée ambitieuse d’une innovation responsable au service d’un meilleur état de société. Interview.
Vincent Biard – Comment définir l’innovation et par quelles récentes innovations avez-vous été le plus étonné ?
Alain Conrard – Beaucoup a déjà été dit au sujet de l’innovation. Et après tout, rien de plus normal puisque l’innovation concerne tout le monde. On dit de l’innovation des choses les plus contradictoires : elle serait la solution de tous les problèmes par une formule magique : la disruption. Elle serait aussi la grande menace – du fait des évolutions technologiques galopantes – qui ferait planer sur tout, et particulièrement sur les êtres humains qui pourraient se considérer comme le « maillon faible », un risque d’ubérisation. Dans le livre, je parle de deux types d’innovations : celles dites incrémentales et celles dites de rupture. Les premières fonctionnent en continu, sont prévisibles et améliorent l’existant. Les secondes liquident le passé et sont comme un jaillissement du présent en direction du futur, ce sont celles qui marquent le plus car elles bouleversent les modèles civilisationnels. Ces innovations sont souvent liées aux sources d’énergie ou à la domestication de la matière première. C’est par exemple l’âge de la machine à vapeur, de l’électricité, du charbon, du nucléaire. Leur apparition constitue un séisme. Ces méta innovations permettent ensuite une multitude d’innovations en grappe. Par exemple, celle de l’électricité à permis celle de l’internet. Il existe aussi dans les innovations de rupture, au-delà des méta innovations, certaines autres catégories très intéressantes. Je cite notamment les innovations qui « créent leur place » comme Facebook, elles sont très surprenantes. Rien de comparable n’existait avant et ce type d’innovation créée un espace qu’elle remplit et qu’elle autoalimente. C’est flagrant avec le numérique qui a imposé ce type d’innovation. Mais s’il fallait caractériser l’innovation en une phrase, je dirai qu’en réalité, seul mérite le terme d’innovation ce qui contribue à l’amélioration du bien commun.
Vincent Biard – L’innovation ne serait-elle pas une conséquence inéluctable du progrès technique ?
Alain Conrard – J’explique la différence entre l’innovation et l’invention dans « Osons ! Un autre regard sur l’innovation ». L’innovation est la mise en œuvre d’un processus industriel. L’innovation n’est pas systématiquement un progrès technique. Elle peut-être par exemple liée à un nouvel usage de certaines choses qui ne sont pas forcement en relation direct avec la technologie.
Vincent Biard – Ce monde d’après que l’on nous a promis comme succédant à la crise sanitaire sera-t-il vraiment innovant ?
Alain Conrard – Jacques Attali, dès 2009, explique que l’humanité n’évolue significativement que lorsqu’elle a vraiment peur. Elle met alors en place de manière successive des mécanismes de défense qui sont parfois intolérables au début puis ensuite qui se transforment pour être compatibles avec les principes de liberté individuelle. Le monde d’après c’est comprendre qu’il y a eu de grandes inquiétudes depuis 16 mois et qu’il faut faire preuve d’une certaine nouvelle forme de pensée. Pour moi, le monde d’après c’est un regard rénové sur les choses et accepter les changements profonds engendrés par cette période. Ces changements sont fortement accélérés par le digital qui a un impact sur quasiment tout, caractérisé en plus par la rapidité de cet impact. Je dis à propos de l’innovation, qui se fait en quelque sorte avec ou sans notre consentement, qu’à défaut de pouvoir changer les choses, la seule chose que l’on peut changer c’est le rapport que l’on a avec les choses. Je crois que cette manière d’appréhender les choses s’applique aussi à la situation actuelle. Sans être un monde d’après, c’est une période avec de nouveau paramètres.
Vincent Biard – Avec les questions de la censure par les réseaux sociaux, de la protection des données personnelles ou encore du développement de l’IA, quel est votre point de vue sur la demande d’éthique des citoyens et consommateurs ?
Alain Conrard – Cette notion est d’autant plus complexe que l’innovation est quelque chose qui n’est en soi ni bon ni mauvais mais dont la qualité dépend de l’usage qui en est fait. En même temps que l’on souligne l’énorme potentiel de progrès enthousiasmant dont elle est porteuse, il faut donc avoir toujours en tête les risques qu’elle présente. L’éthique de la responsabilité développée par le sociologue Max Weber est utile pour cela. Weber oppose éthique de la conviction et éthique de la responsabilité. Le premier fait de l’action la conséquence d’une conviction ou d’une croyance, sans se poser prioritairement la question des conséquences de ses actes. À l’opposé, la seconde envisage toujours les conséquences des actes qu’elle engendre. Il faut penser les conséquences de l’innovation, y compris en matière sociale, sociétale, environnementale. En un mot, l’innovation est bonne si elle est porteuse d’une amélioration de la vie du plus grand nombre. En ce sens, elle permet d’avancer en confiance vers un meilleur état de civilisation. »
Vincent Biard – Quels conseils pourriez-vous donner aux entreprises dans leur approche de l’innovation ? Comment ne pas s’égarer entre gadgets et vraies innovations ?
Alain Conrard – Je dirige Prodware que nous avons créé en 1989. Nous avons lancé la société avec l’idée que l’évolution technologique doit servir nos clients pour gagner en compétitivité. Prodware est considéré aujourd’hui comme le partenaire privilégié de nos clients en Europe dans le cadre de leur transformation digitale. Et la technologie évolue de manière effrénée. Votre question est donc essentielle pour ne pas s’y perdre, il a deux mots : pédagogie et acculturation. Je suis aussi le président de la commission digitale du mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) et nous essayons de guider les entreprises dans leur transformation digitale. Pour aider les chefs d’entreprise, je dirais d’abord qu’il est impératif qu’ils maitrisent l’innovation sous peine de disparaitre quels que soient les stratégies et les secteurs d’activités. Il est important de bien comprendre les grandes tendances des principales technologies au-delà de la technologie à proprement parler. Il est important pour un dirigeant d’en comprendre les champs d’applications et les impacts pour pouvoir, une fois que l’on a posé un diagnostic de maturité digitale de son entreprise, la réussir ensuite. Aujourd’hui on entend parler d’IoT, de Big Data, d’IA, de machine learning, de cloud mais il est important que les chefs d’entreprises progressent à petits pas et réalisent des tests dans une logique de minimum value product. Les chefs d’entreprise et plus particulièrement ceux des ETI ont déjà vécu d’autres changements, j’ai pleinement confiance dans leurs capacités à s’adapter à la transformation digitale.
Photo : Alain Conrard ©DR
Sites web:
OSONS ! Un autre regard sur l’innovation (osonslinnovation.com)
https://www.prodwaregroup.com/fr-fr/
